Faire participer les usagers, demander des avis, réaliser des projets qui engagent les citoyens, est-ce possible pour une ville?Une région? Un département? Un musée? Un monument?
Ces expressions, que l’on peut résumer par la « Démocratie participative » , sont souvent des mots vides, « à la mode », voire des arguments-alibis qui ne recouvrent aucune réalité. Les outils du numériques sont aussi trop souvent partie prenante de cet effet de mode : on pense « outil » avant de penser « usage et pratiques, » et hop! Le tour est joué : mettre une application pour guider les visiteurs suffirait à moderniser son image et à démocratiser les pratiques et les usages des visiteurs.
Alors, lorsque nous avons découvert la proposition de la Maire de Paris de réserver réellement une partie du budget à des propositions exprimées par les parisiens eux-mêmes, cela nous a fait plaisir.
Comme le sujet est politique, et que les élections régionales approchent, ce qui nous étonne est que si peu de programmes politiques ou si peu d’acteurs culturels ou touristiques s’en saisissent, dans la presse ou « sur le fond ».
– Pourtant, voici une démarche qui, si elle n’est pas vraiment nouvelle (Voir notre Historique rapide ci-dessous, tout a commencé en 1989 au Brésil…), est réellement très intéressante .Car pour ces expériences de budgets participatifs, les villes et régions partent des principes suivants:
– que les élections municipales, tous les six ans, ne suffisent pas à répondre aux demandes des habitants et que reprendre l’avis des citoyens, puisque c’est possible via les conversations numériques, est beaucoup mieux;
– que les techniciens/Administratifs d’une ville ne peuvent pas suivre au jour le jour l’évolution des demandes, les nouveaux projets, l’air du temps; ils ont donc, c’est vrai, une sorte de « clientèle attitré »e aux projets et aux subventions. Cet appel d’air « participatif », même modeste, car il ne concerne que 5% du budget d’investissement, 75 millions d’euros cette année, tout de même! – peut donc contribuer à mieux refléter les compétences et les désirs des habitants.
– que ce type d’appel à projets venant de la population nécessite une nouvelle façon de les évaluer, d’établir des critères de leur éligibilité, et met à mal les petites cases des subventions. Il vous est sans doute arrivé de ne pas pouvoir « rentrer » dans ces petites cases, votre projet étant pluridisciplinaire ou hors normes.
Redonner, grâce au partage d’un budget, un peu d’initiative aux habitants, est-ce déraisonnable? Voyons tout d’abord comment cela fonctionne (à paris), puis nous ferons des propositions pour les filières du Tourisme et de la Culture.
I- MODE D’EMPLOI DU BUDGET PARTICIPATIF
Le Budget 2015 : précisons que cette année l’enveloppe dédiée au budget participatif s’élève donc à 75 millions d’euros d’investissement, répartie de la façon suivante : 37,3 millions d’euros pour l’échelon parisien, 37,7 millions d’euros pour les budgets participatifs d’arrondissement (dont la moitié correspond à l’abondement par la Maire de Paris). Au terme de la mandature,en 2020, ce budget participatif représentera presque un demi-milliard d’euros (426 millions d’euros) qui auront permis aux les Parisiennes et les Parisiens de se prononcer directement sur l’affectation de 5% du budget d’investissement de la Ville. Et un meilleur mode de vie, faut-il le préciser!
1- QUI PEUT PARTICIPER ? seuls les parisiens, mais tous les parisiens, sans condition d’âge ou de nationalité, peuvent proposer des projets. Et seul l’investissement est concerné, et le projet ne devant pas générer de dépense de fonctionnement direct. Les propositions peuvent concerner un seul ou plusieurs arrondissements ou même tout Paris!
3.COMMENT PARTICIPER ?
Pour proposer un projet, il suffit de s’inscrire en ligne sur la plateforme idee.paris.fr. Après, on peut le déposer sur cette plateforme, ou l’enrichir ou le faire soutenir par d’autres internautes.
Des réunions de co-construction de projets ont lieu dans des lieux partenaires pendant toute la phase de dépôt des projets, et l’agenda de ces réunion est aussi en ligne sur le site idee.paris.fr. Comme en 2014, la Ville de Paris n’a pas souhaité restreindre la créativité et l’inventivité de ses habitants: tous les projets seront reçus et étudiés. Une réponse a été apportée à chaque proposition postée sur la plateforme avant juin 2015.
4. COMMENT LES PROJETS SONT-ILS SÉLECTIONNÉS ?
Les services de la Ville analyseront la recevabilité des projets qui doivent relever :
– de l’intérêt général ;
– de la compétence de la Ville de Paris ;
– du budget d’investissement (aménagement de l’espace public ou d’un équipement, achat de fournitures pour les écoles, musées ou bibliothèques) et non du budget de fonctionnement (dépenses et recettes nécessaires à la gestion courante de la ville : rémunération des personnels, achats des services, subventions aux associations, etc.).
5. LE CALENDRIER
– Du 14 janvier au 15 mars : dépôt des projets sur idee.paris
– Jusqu’à fin mai : analyse des projets par les services de la Ville
– En juin : annonce des projets parisiens soumis au vote lors d’une agora citoyenne
– Du 10 au 20 septembre 2015 : vote du budget participatif par les Parisiens sur budget participatif.paris.fr ou sur bulletin papier. Si on peut proposer des projets pour tout paris, on ne peut voter que dans un seul arrondissement, celui où l’on habite ou celui où l’on travaille.
6. L’INFORMATION
La réalisation des projets retenus fait l’objet d’une information régulière diffusée sur budget participatif.paris.fr. Les personnes qui ont expressément choisi de s’abonner à l’alerte « Budget Participatif » sont informées par courriel de l’avancée des projets et des prochaines étapes du budget participatif.
On peut d’ailleurs télécharger le budget participatif – mode d’emploi ainsi que la Charte du budget participatif 2015. Notons aussi que la Charte n’est pas gravée dans le marbre et peut être révisée, notamment sur la base des bilans effectués à l’issue des campagnes annuelles du budget participatif, en concertation avec le Comité des arrondissements et après consultation de la Commission Parisienne du Débat Public.
On le voit : en plus de proposer un projet, le citoyen est sensibilisé au fonctionnement d’une ville, à sa « mécanique budgétaire », peut mieux s’approprier la ville et mieux évaluer, par la suite, ses progrès ou de ses échecs. Ce rôle « pédagogique » des budgets participatifs est important.
II- LES PROJETS 2015
Voici, pour 2015, le nombre de projets reçus et classés par grands thémes :
– Cadre de vie (22)
– Culture et patrimoine (10)
– Economie et emploi (5)
– Education et jeunesse (6)
Nature en ville (9)
– Propreté (5)
– Solidarité (1)
– Sport (3)
– Transport et mobilité (5)
– Ville intelligente et numérique (5)
– Vivre ensemble (6)
Culture, patrimoine, tourisme et numérique sont majoritaires dans les nombreux propositions, croisant les différentes thématiques, comme :
– des billetteries intelligentes, « ( Plateformes en ligne, applications dédiées, bornes interactives sont autant de moyens qui permettent de partager ce patrimoine en perpétuelle réinvention.),
– le musée Carnavalet, musée d’histoire de Paris, et ses fabuleuses collections (plus de 650 000 œuvres et objets !).
– donner une seconde vie aux cadenas d’amour du Pont des Arts, supprimés à cause de leur poids en 2014 .
– développement des pistes cyclables et du covoiturage ou celui de multiplier les sanisettes; celui d’installer des assises confortables (bancs, chaises, …) permettant de se (re)poser, de dialoguer, de bouquiner, de méditer, de contempler, ainsi que des tables pour pique-niquer ou jouer….
– mieux distribuer l’espace public en faveur des piétons et de mettre en place des axes agréables et sécurisés, pour les déplacements quotidiens et/ou la promenade; l’aménagement des des berges de la Seine;
– une promenade le long du Canal Saint Martin, etc….
Vous pouvez lire tout le descriptif et le financement demandé pour chaque projet en 2015-2016 ici
BREF HISTORIQUE DES BUDGETS PARTICIPATIFS en France et dans le monde
1989 – 1997 : de l’expérience de Porto Alegre au Brésil et de Montevideo en Uruguay (30 expériences)
1997 – 2000 : expansion brésilienne (140 villes avec des différences)
2000 – 2007 : expansion dans le monde avec le succès des Forums Sociaux Mondiaux (Amérique Latine, Europe)
2004-2011 : France : La ville de Grigny (Rhône) avait mis en place un budget participatif. Jusqu’à environ 25 % de son budget d’investissement a été géré de manière participative.
2005 : La Région Poitou-Charentes a mis en place depuis 2005 le budget participatif des lycées, suivie par les
régions Nord-Pas-de-Calais14 où 25 établissements participent à une expérimentation laissant à la communauté scolaire décider jusqu’à 100 000 euros.
2007 – 2010 : développement des réseaux nationaux et internationaux (Brésil, Colombie, Argentine, Espagne, Grande-Bretagne) et vote des premières lois nationales rendant obligatoires les budgets participatifs.
2010 – 2015 : intégration des BP dans des mécanismes de participation plus larges (agenda 21,…)
Depuis cette expansion, de nombreux pays ont adopté par une loi l’obligation de décider une part du budget de manière participative, notamment la République Dominicaine, le Pérou, la Pologne et l’État du Kerala (Inde)ou le Sénégal,le Cameroun, Madagascar.
La Ville de Paris, en 2014, laisse les citoyens décider de 5% du budget pour la mandature 2014-2020.
Bref historique de Nelson Dias : « Esperança Democrática – 25 anos de Orçamentos Participativos no mundo, In Loco, 2013« (cliquez sur le titre pour le lire en ligne)et Wikipedia .
CONCLUSION / ET POUR LE TOURISME ET LA CULTURE? Les élus et les administrations politiques des villes et des régions qui ont tenté le budget participatif font preuve d’une forme de courage en le mettant en place. L’abandon de « tout décider tous seuls » est donc louable. Des budgets participatifs pour le Tourisme et la Culture, deux secteurs qui ne peuvent se passer d’une bonne entente avec les habitants (le fameux « vivre ensemble »), sont-ils possibles?
Les critiques, lors de telles consultations, fusent toujours de la part des « oppositions » politiques au pouvoir en place » Appel au peuple démagogique! » ou encore « Mais ce sont toujours les mêmes qui gagnent les projets! ».
C’est en effet le risque, pour la Mairie aussi : ne pas renouveler le vivier de propositions ou mal s’y prendre – la démarche est nouvelle à Paris depuis 2014 – et rater son coup. Cependant, partons du principe que faire confiance et évaluer « après coup » cette action vers davantage de démocratie est plus positif que d’accuser la mairie de mille maux avant même que ce partage sur le budget n’ait eu lieu!
Nous proposerions volontiers qu’une partie des budgets du Tourisme et de la Culture soit affectée aux habitants des villes, départements ou des régions. Cela renouvellerait le fonctionnement et la fréquentation des musées, monuments, Offices de Tourisme des villes, des départements ou des régions et améliorerait la qualité des rapports entre ces organismes et les habitants.
– Des exemples? Pour une exposition conçue, en principe, « pour tout le monde », ou encore pour réaménager l’accueil des visiteurs,c’est LE musée, LE monument ou l’Office du tourisme qui décide de tout , à partir de son budget : est-ce bien raisonnable? La « liberté de programmation artistique », par exemple, peut-elle régner seule en maître absolue, ne peut-elle pas, jamais, être partagée?
– On pourrait donc imaginer, comme la Ville de Paris, que 5% de leur budget d’investissement serait consacré aux projets d’habitants.On voit en ce moment à Barcelone, par exemple, que les excès de certains touristes excèdent les habitants : pour continuer à être une ville touristique, quelles propositions feraient les habitants pour diminuer les abus de certains touristes?
Plus généralement, un budget participatif renouvellerait les pratiques et les stratégies de ces organismes et leur permettrait, tout simplement, de prendre l' »air du temps » et de mieux partager leurs décisions.
Pas de tourisme sans consentement et appui des habitants, et pas de fréquentation culturelle élargie – elle reste l’apanage de 30% de la classe supérieure et aisée- sans changements structurels. La répartition et l’emploi des crédits disponibles, avec un peu plus de démocratie à la clef, ne serait-ce pas un vrai levier de transformation des politiques actuelles?
POUR EN SAVOIR PLUS
– « Les budgets participatifs en Europe » et « Petite histoire de l’expérimentation démocratique », par Yves Sintomer aux éditions La Découverte. Voir son article sur La Gazette des Communes .
– Radicaliser la démocratie? Propositions pour une refondation par Dominique Rousseau – Date de parution 02/04/2015; 240 pages – Editions du Seuil :(15.00 € TTC).La démocratie a été happée par le principe de représentation, elle n’est pensée que par lui, elle en est devenue prisonnière. Elle a également été engloutie par le marché qui lui impose ses lois, comme le montre jusqu’à la caricature l’actualité. Pourtant, malgré la montée des populismes, la défiance à l’égard des élus et l’apparente indifférence politique, l’idée démocratique vit dans les quartiers, les villes, les écoles, les entreprises, portée par des collectifs informels de citoyens qui prennent en charge directement les questions qui les préoccupent et s’impliquent dans les grands débats de société.Ces expériences manifestent une forme nouvelle de démocratie qui n’a pas encore trouvé son nom.
Dominique Rousseau est professeur de droit constitutionnel à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Ancien membre du Conseil supérieur de la magistrature de 2002 à 2006, il a été élu co-directeur de l’École de droit de la Sorbonne en 2013.
– Wikipedia sur les Budgets participatifs
KEN LE TOURISTE PARFAIT, entre sept voyages et cinq palaces ce mois-ci, avait utilisé bon nombre de voitures, avions et jets privés, et se trouva fort dépourvu pour rejoindre son rendez-vous d’affaires à Paris à 9 heures. Il devait rejoindre le centre depuis Roissy Charles de Gaulle et voilà, pas de taxi…En bon Touriste parfait, il rêvait que des habitants viennent le chercher,mais voilà, les UBER n’étaient plus en odeur de sainteté dans cette capitale. Y-a-t-il une lectrice qui irait chercher Ken quand il vient à Paris?
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