À partir du 4 avril 2009, les moins de 26 ans ainsi que les enseignants du premier et du second degré pourront entrer gratuitement dans les musées nationaux. La mesure a été annoncée le 13 janvier dernier par Nicolas Sarkozy. Une cinquantaine de musées et une centaine de monuments nationaux sont concernés.
Voici en 10 points les idées-reçues et ce qu’il faut connaître, même en gros, pour décrypter les vraies conséquences de cette gratuité pour l’avenir du Tourisme et de la Culture.
1 – Les musées, c’est trop cher …
Et non ! C’est la sortie qui est chère, pas les 5 euros en moyenne du ticket d’entrée ! Car pour toute sortie de son domicile, il faut prévoir de faire garder les tout petits, de prendre un petit café, des transports, ou un dejeûner..A noter aussi, le fait que la jeunesse dépense beaucoup plus pour ses TIC, technologies de l’Information et de la communication -pour le cinéma, pour ses baskets ou d’autres sorties, dès qu’elle le peut, comme le soulignent régulièrement les instituts de sondages. Le prix du billet n’est donc pas un frein de première importance. Le choix des jeunes pour d’autres activités, souvent plus chères, est bien une préférence des jeunes de moins de 26 ans qui ne fréquentent pas ou peu les musées et les monuments. Les européens, ciblés aussi par la mesure, ne se ruineront pas avec une ou plusieurs entrées de musées s’ils viennet de loin. Cinq euros, par rapport au coût du voyage, de l’hébergement et des autres frais d’un voyage, ce n’est pas trop cher. Pour les groupes, pour les « parents en voyage avec des jeunes » toutes les activités sont d’ailleurs nettement plus chères (Sport, cinéma, concerts de rock ou shopping). Et rappelons aussi cette gratuité ou au moins des réductions existent dans de très nombreux musées et Villes comme Paris ou Nice, mais la communication du gouvernement n’a pas cru bon de s’étendre sur le sujet,. Sans doute pour accentuer le côté scoop de son annonce (voir 7)
2 – Les musées et les monuments ont de nouveaux publics quand c’est gratuit !
Et non ! Car globalement, En France, il semble que l’on s’applique à donner toujours plus d’avantages toujours aux mêmes! Toutes les études sérieuses montrent et démontrent depuis 10 ans que, si la fréquentation augmente, surtout les trois premières années, après une annonce de gratuité, cela est dû au fait que ce sont les mêmes catégories de visiteurs (CSP+, revenus++, diplômés ++ ) qui en profitent, du coup, plus souvent. Pas les autres, les 3/4 de la population , les moins riches, ceux qui ne connaissent pas bien les monuments et les musées et pour lesquels les freins à la visite sont les plus puissants. (Voir le profil du visiteur de musées dans l’excellente étude du CREDOC sur les musées en 2005).
Bref, au delà de ces résultats et expéreices un peu comiques, une chose est sûre : si l’on se donne un peu de mal, on a les publics que l’on souhaite, mais cette action relève surtout d’un volontarisme politique et bouleverse souvent les habitudes des publics acquis et des équipes professionnelles.
3 – Les jeunes publics préfèrent les expositions temporaires
Vrai. Mais on ne trouve pas facilement, dans l’annonce-réclame des radios, télés et sites Internet, que seules les expositions permanentes seront gratuites. Or un musée ou un monument, n’est-ce pas un bâtiment et son contenu ? Surtout pour qui ne les a jamais ou peu fréquentés – cibles de la mesure – parce que le mot « exposition » leur fera penser à une exposition temporaire plutôt qu’aux fonds permanents d’objets ou d’oeuvres d’art d’un musée ou d’un monument. Dommage, cet interdit, car si la très grande majorité des jeunes préfère l’évènementiel et les expositions temporaires, venir une fois, pour quelques uns d’entre eux, auraient pu leur donner envie d’y retourner, et le petit manque à gagner du côté des recettes de billetteries pouvait aussi être pris en charge dans la » compensation »de l’Etat.
4 – Chic, on n’a plus le curseur « fréquentation » comme indicateur de performance!
A mon avis le défaut majeur de la gratuité, peu ou pas évoqué dans la Presse, est surtout de libérer le directeur de l’établissement (et/ou celui de la culture, localement) et ses équipes d’une tâche essentielle, aujourd’hui, pour la vie et peut-être la survie des établissements culturels : développer ou simplement stabiliser la fréquentation.
Car si les directeurs ont une subvention de compensation , une subvention d’équilibre, comme on l’appelle très pudiquement à la Culture, pourquoi se donner du mal pour mieux connaître les visiteurs? Ceux qui viennent, mais surtout les visiteurs potentiels ?
Si la fréquentation devient gratuite, si et le manque à gagner estcompensé, la fréquentation n’est plus LE critère fort d’amélioration d’un lieu culturel. Quelles en seront les conséquences ? Pourquoi, en particulier, les directeurs des lieux amélioreraient-ils améliorer l’offre, dans ces conditions ? Pourquoi faire des efforts, comme la plupart des pays qui ont des musées et monuments, à commencer par nos amis européens, pour que l’offre ne soit plus, comme dans 80% des cas chez nous, élitiste et si peu ludique pour les adultes?
Du coup, on multipliera les postes de « médiateurs », pour expliquer ce qui est difficile aux gens, au lieu de penser et de présenter différemment , d’expliquer différemment. Par exemple en intégrant les réponses dans la muséographie, en ayant recours aux NTIC. Les outils existent depuis les années 70, peu utilisés en france. D’autres formes d’aides à la visite et d’accompagnement existent aussi au R.U -Tate Modern ou V§A Museum, des musées américains, des canadiens, des Pays du nord, des australiens
Rendons cependant ici un hommage au journaliste du journal Le Monde qui a courageusement dénoncé la semaine dernière une forme de censure . Une étude d’évaluation a été faite lors de l’expérience de la gratuité depuis 2007 dans les musées qui avaient été choisis par l’Etat pour expérimenter la mesure avant sa généralisation en 2009. Dans le bilan communiqué par le ministère de la culture, rien n’est évoqué sur ces publics !
Pourtant nous pensons que cette présence de publics « défavorisés » , qui ne correspondent pas au profil habituel des visiteurs, est très habituelle. Sauf qu’ils sont un tout petit nombre!
Une anecdote : lorsque nous avions reçu notre premier adhérent « Agriculteur », pour la Carte Blanche du Musée d’Orsay, nous avions crié victoire !!. Nous pouvions enfin combler nos statistiques qui étaient à zéro du côté des agriculteurs et paysans. Hélas, c’était un faux, une blague d’un adhérent du musée… Quant aux enfants défavorisés, en Ile-de-France, nous n’en n’avions point… Pour les ouvriers des Comités d’entreprise, nous avions fait une très bonne action avec des visites de présentation du nouveau musée; nous avions proposé des Cartes Blanches au tarif le plus bas, et tous les CE étaient venus pendant deux ans très régulièrement ! Mais lorsque nous avons fait la première expo de Graffiti Art au Musée National des Monuments Français avec des jeunes « défavorisés », nous avons failli vider le musée de ses habitués et voisins assidus, révoltés que dans « leur » musée national ait lieu une expositon de ce type, avec des groupes de jeunes « taggeurs » dans tous les escaliers…Les amis des « Monuments Français » avaient écrit au ministre quotidiennement, pendant tout la durée de l’exposition.
Et aurons-nous les moyens de recruter de nouveaux médiateurs dans les très prochaines années ?
Quelle indifférence affichée, aussi , pour tous les musées qui font des efforts formidables, en France, pour être de « bons » musées ou monuments, accueillants, à l’écoute des mutations des comportements des publics, inventifs pour y trouver des stratégies et des solutions?
On pourrait plutôt y voir un encouragement, en creux, aux directeurs qui ne se bougent pas trop de ce côté-là de leur travail – accroître et diversifier les publics – cette mission ne figurant pas, d’ailleurs, comme une mission incontournable, en France. Une sorte de « Vous qui n’avez pas assez de publics, ne vous inquiétez pas, nous allons décider de la gratuité, et l’Etat compensera le manque-à-gagner».
L’Etat communiquera beaucoup sur la gratuité, au lieu de faire des études, des analyses, de l’observation des comportements, des rapprochements entre nouveaux comportements, pratiques culturelles et offre, pour la modifier, le cas échéant.
Cela durera quelques années, comme d’habitude, jusqu’à la prochaine baisse de fréquentation (voir 7) et une nouvelle annonce de gratuité ciblée. Après les jeunes/enseignants/ européens en 2009, peut-être les Vieux/Retraités/Asiatiques-Russe-Indiens et Brésiliens des BRIC, la prochaine fois ?
5 – La fin d’une liberté pour les lieux culturels ?
La gratuité représente aussi une part de fonds propres que l’établissement ou la collectivité territoriale n’auront plus dans son budget, et qui sont tout de même importants (4% pour les petits à 20 % environ pour les gros établissements).Ces recettes de billetteries représentent une marge de liberté d’action pour les directeurs des lieux. Liberté à négocier avec la tutelle, mais si la fréquentation s’accroît, si elle est jugée très satisfaisante, les tutelles refusent rarement, évidemment, cette négociation. Qui plus est, s’il est besoin d’une subvention d’équilibre, prélevée sur les impôts locaux ou nationaux, les tutelles pourraient alors devenir plus exigeantes ou faire preuve de davantage d’autorité, en privant le lieu culturel du peu de marge de manœuvre.
Avec une bonne fréquentation, la possibilité de faire varier la programmation est plus grande ! De nouvelles actions peuvent voir le jour, et cela peut tout concerner : les expositions temporaires, le lancement d’opérations de mécénat ou les acquisitions, la recherche; les études des publics ou les progrès des TIC utilisées, de nouveaux services (cafétéria, librairie, traduction langues étrangères, offres diversifiées (famille, enfant).
Nous vous présenterons d’excellents exemples des « bénéfices » d’une bonne fréquentation pour améliorer , dans l’ensemble, un établissement. Rendez-vous la semaine prochaine sur ce blog !
6 – En changeant de point de vue, en posant d’autres questions, le Gouvernement aurait pu avancer sur la qualité de la fréquentation des musées et des monuments et sa croissance :
– Part des publics potentiels dans la proximité ? Et combien viennent dans les musées et les monuments? Et les autres, pourquoi ne viennent-ils pas ? ( La proximité c’est habiter à 3/4 h maximum du musée ou du monument, pour pouvoir s’y rendre à pied, à cheval ou en voiture)
– Part des touristes potentiels susceptibles de visiter un lieu culturel ? Comment agir, que faire pour qu’ils viennent ?
– Place de l’objectif de fréquentation dans le travail du directeur du lieu ? Y a-t-il des professionnels en marketing culturel dans l’équipe ? Dans la ville, le département, la région, qui conçoit et coordonne la stratégie du tourisme culturel ou fait un plan marketing, par exemple ? Est-ce que des professionnels évaluent finement le potentiel, ce « public le plus large possible », par un travail d’études et de connaissances?
7 – Pour la prochaine annonce sur la gratuité, en 2014 : décodez les grosses ficelles de la communication !
Jouer sur les mots est pratique pour berner votre lecture rapide d’un quotidien. C’est un peu grossier, mais ça marche, surtout qu’à l’occasion de l’annonce de la gratuité des 18-26 ans dans tous les musées nationaux , le mot avec lequel on joue est très respectable, il s’agit du mot « National ».
Maintenant, et pour l’avenir, quand vous lirez :
Tous les musées nationaux seront gratuits, vous ne comprendrez pas « Tous les musées français sont gratuits ».
L’astuce de la communication sur la gratuité : vous faire croire, grâce aux gros titres des journaux, que tous les musées en France seront gratuits pour les 18-26 ans.
Moins d’ 1% des musées et monuments ouverts aux publics sont concernés par la nouvelle mesure de gratuité :
Les musées nationaux sont, en nombre, une infime partie des musées de la France ! Un pour cent environ. En nombre de musées, voilà le tableau :
– Nombre de musées en France : 5000 à 8000 (Le « mot » musée n’est pas protégé, on peut en ouvrir comme on veut. Les guides en recensent de nouveaux chaque année…)
– Nombre de Musées de France : plus de 1200 (musées des collectivités territoriales, labellisés par l’Etat via la sur Loi relative aux les Musées de France de 2002 . Cette liste s’accroît aussi tous les ans.)
– Nombre de musées nationaux concernés par l’expérimentation: 50 !
Même grosse ficelle pour les monuments : cent monuments sont concernés par la mesure, sur des milliers de monuments ouverts au public en France (40 000 monuments historiques, plus de 2000 ouverts à la visite d’après Maison de la France en 2008)
8 – …Et merci pour les jeunes touristes étrangers !
Mais la ficelle la plus tordue est celle de l’évaluation prévisionnelle de ceux qui pourraient en profiter. Cette évaluation est basée sur le potentiel français de jeunes, d’enseignants ainsi que des jeunes européens. On leur dira quoi, aux jeunes canadiens, japonais et autres jeunes touristes étrangers non européens : « Désolés, cette mesure n’est pas faite pour vous! » ? Que diront aussi les animateurs, et tous les professionnels en charge des jeunes adultes autres que les enseignants?
Ce n’est pas très gentil, et cela sera sportif, à l’accueil….
Et surtout, quelle triste réponse en regard de l’implication des jeunes étrangers, de leur désir de venir en France plutôt qu’ailleurs? Quel accueil indigne, alors que ces jeunes clientèles avaient choisi la destination France pour visiter un musée ou un monument, et qu’une discrimination proclamée – seuls les jeunes européens!- détournera peut-être d’une prochaine visite.
9 – En résumé, nous aurions dû lire :
A partir du 4 avril, un pour cent des musées et des monuments en France seront gratuits ! Cette mesure concernera les français et européens âgés de 18 à 26 ans et leurs enseignants. Nous vous présentons nos excuses pour avoir zappé tous les animateurs et autres pédagogues et amis des jeunes, qui ne pourront pas en bénéficier, tout comme les centaines de millions de jeunes américains, chinois, russes ou indiens, bref, tous les jeunes touristes du monde entier hors de l’Europe. Nous savons que nous gâtons encore un peu plus que d’habitude les habitués des musées et des monuments. Mais ils sont fidèles et ont l’habitude de notre offre difficile ! Le coût de l’opération, 30M€, sera comme habituellement prélevé sur vos impôts ou s’ajoutera à notre déficit national en fin d’année.
Mais qui pourrait communiquer là–dessus ?
10 – KEN, VOTRE TOURISTE PREFERE!
J’ai reçu ce petit mail d’un fan de Ken Le Touriste, un très brillant professionnel, par ailleurs, et, vous allez voir, ce n’est pas triste. Pendant que je vous assomme de statistiques, de réflexions et de bonnes idées, l’ami Ken découvre aussi tous les avantages du tourisme ; celui que l’on appelle le Tourisme libertin, en particulier. Eh oui, notre Ken fait le joli cœur pendant ses voyages!
Voici le mail : « J’ai aussi pensé à Ken le touriste. Il n’est pas à l’abri d’une rencontre fortuite qui bouleverse son voyage… »
Et voici la créature de rêve…
10 – La suite la semaine prochaine : Ken visite les musées au milieu de la foule et découvre des stratégies intéressantes de leurs directions pour accroitre la fréquentation ! Destination Le Louvre, Le Canada et les USA !
« La gratuité pourrait profiter à 6,5 millions de jeunes Français, à 50 millions de jeunes Européens et à 870 000 enseignants » Dossier de Presse du Ministère de la Culture.
Photo de Barbie ( Les Echos) : http://www.lesechos.fr/luxe/culture/300317383-barbie-world.htm
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[…] Catalane. FEMS, fédération des musées de société( une démarche –qualité)et celui de Tistra.LA GRATUITE DANS LES MONUMENTS NATIONAUX :ET DANS LES MUSEES –VISITES EN FAMILLE – COMMENT MONTER UNE EXPOSITION ? Comment […]