Cette semaine nous vous présentons le travail d’un artiste, El Seed, qui a transformé un quartier du Caire en prenant soin de dialoguer avec ses habitants. Manshiyat Nasr, le quartier chrétien où son oeuvre a été réalisée sur une cinquantaine d’immeubles est, depuis, cité par tous les réseaux sociaux et magazines européens et américains qui font un éloge enthousiaste de l’oeuvre laissée par l’artiste. Pourtant, il y peu, les cairotes appelaient ces habitants « le peuple des ordures », « Zabaleen », car il abrite la plupart des entreprises de nettoyage du Caire.
– Alors, pour restaurer l’image des habitants de Manshiyat Nasr, l’artiste a décidé de mettre porter un nouvel éclairage sur leur quartier en y concevant une immense fresque qu’il a appelée « Perception », d’immeuble en immeuble, sur plus de 300 mètres!
– La Calligraphie, si vous savez la lire, livre le message suivant :
‘Qui veut bien voir la lumière du jour doit d’abord se nettoyer les yeux ».
Quand il communique avec la Presse ou sur les sites de vidéos, El Seed n’oublie jamais de dire que « Les habitants de la communauté copte de Zaraeeb qui collectent les détritus de la ville ont développé le système de recyclage le plus efficace à grande échelle ».
Mieux connaître, reconnaître leur travail, enlever les idées reçues : voilà ce qu’aura apporté l’artiste en « mettant le quartier » dans la lumière, grâce à son art.
– La fresque apparait sous son plus beau jour depuis le point le plus haut du Caire : le Mokattam, collines qui surplombent la capitale égyptienne et permettent désormais de voir le message d’El Seed qui propose une vision du monde plus humaine, plus tolérante car elle respecte les différences.
LA CULTURE pour tout le monde!
Comme nous l’avions vu dans le billet sur le Mexique, l’« art change la ville », cette nouvelle expérience confirme l’intérêt de sortir un peu des lieux clos – musées, monuments, centres d’art… – ou des visites commentées habituelles, pour s’adresser à tous les habitants, collaborer avec eux, et attirer immanquablement des touristes si l’offre est inédite, excellente, innovante et à la hauteur de leurs attentes.
– El Seed a ce goût d ‘espérer un « partage » de ses oeuvres, dont chacune retrace en calligraphie arabe un proverbe, ou un poème en forme de message universel. Ce n’est pas trop grave, pour lui, si nous ne lisons pas l’arabe, car nous trouverons bien quelqu’un qui nous renseignera ou encore les fresques parleront à notre émotion : « Je souhaite communiquer avec tout le monde, dit-il. Faire avec mes calli-graffies comme la musique étrangère : lorque vous l’écoutez, vous n’avez pas besoin de traduction pour l’aimer » ( conférence TED, mars 2015 « Quand l’art urbain apporte un message d’espoir et de paix »).
– SON PARCOURS : street artist, il habite Monréal, après avoir étudié et grandi en France, où il est né en 1981 et, depuis quelques années, fort de son succès international, il parcourt le monde entier aujourd’hui.
– D’origine tunisienne, il a appris l’arabe à seulement 18 ans, puis la calligraphie arabe avant d’expérimenter le graffiti à la fin des années 90, en inventant cette« calligraffi »,mélange entre graffiti à la bombe et de calligraphie arabe. L’un de ses principaux inspirateurs est d’ailleurs le grand calligraphe Hassan Massoudy. Diplômé de l’ESSEC en 2006, El Seed a travaillé deux ans comme consultant aux Etats-Unis, puis, un jour, il a tout plaqué pour suivre sa passion, le graff, qui devint son temps-plein en 2010.
– En 2012, il part dans la ville où il est né, Gabès, et, comme tous les graffeurs, il y cherche un mur. L’imam, sans rien lui demander en échange, lui propose l’un des murs gris du minaret de la mosquée de Jara. Il y écrira un message tiré d’un verset du Coran , qui prèche la tolérance en définisanst « L’Humanité créée à partir d’un homme et d’une femme et faite de gens et de tribus pour qu’ils se rencontrent » . Accueil chaleureux des habitants, arrivée de journalistes étrangers…L’oeuvre est « adoptée » localement, la Presse en parle et la plupart des habitants de la ville sont tous fiers!
– En 2013 vient la célébrité : l’Autorité des musées Qatari lui propose de peindre les murs de quatre tunnels de 200 mètres de long sur Salda Road, grande artère de Doha. El Seed organise alors une communauté d’artistes locaux et ils créent 52 œuvres originales. Puis, à Paris, il réalise une calligraphie pour l’Institut du Monde Arabe qui est une citation de Stendhal : “l’amour est le miracle des civilisations”, correspondant bien, selon lui, à la vocation de l’IMA , » de rapprocher les cultures et être un pont entre l’Orient et l’Occident”, ainsi qu’une fresque provisoire sur le Pont des Arts (Notre Photo) , suite à la suppression de ses cadenas d’Amour par la Ville de Paris ; enfin il participe à la plus grande exposition de street art jamais réalisée, celle de « la Tour 13 », malheureusement démolie.http://www.blog.stripart.com/art-urbain/el-seed-le-calligraffiste/. New-York, Melbourne, le Canada et d’autres pays et villes l’accueillent, dont la Tunisie lors d’un grand voyage et du rassemblement Djerbahood .
Ses projets, artistiques et sociaux, font le bonheur des grande conférences ou musées internationaux (Conférence de TED ou intervention au MOMA de New York, invité par son directeur, GlennD.Lowry).
CONCLUSION : Pour une autre politique culturelle? pour un Tourisme créatif?
Pour le Tourisme, mais aussi pour la Culture, l’une des priorités est sans doute de renouveler l’offre. Non pas la « rajeunir » en ajoutant une petite application numérique par-ci ou par- là; il faudrait surtout, à notre avis, ré-enchanter l’espace public, permettre la rencontre, permettre l’étonnement, réserver des surprises.
Même s’il y aura toujours un vrai public pour les sites et événements classiques,les pratiques et les accompagnements habituels, il serait vraiment urgent de copier nos voisins européens (anglais, espagnols, néerlandais, suisses, autrichiens ou italiens…) en inventant de nouveaux espaces publics qui répondraient à différents désirs:
– désir de rencontre sans intermédiation avec les artistes et leurs oeuvres;
– désir de comprendre une région, ses habitants, comment ils vivent, ce qu’ils pensent, etc…
– désir d’étonnement, d’inédit, à condition que ce soit de très grande qualité.
Cet espace est , par définition, partagé par tous, comme le disent sans jamais se lasser Jean Blaise depuis 1990 à Nantes, les maires de Lille et de Lyon et Bertrand Delanoé plus récemment. Où comme le disaitaussi notre très cher Inaki Azkuna, Maire de Bilbao avant sa disparition.
- Actuellement cette « vieille idée » de « partage de l’espace public des pionniers est menacée par un nouveau courant, carrément gigantesque depuis dix ans : celui, largement théorisé et mis en oeuvre, des « Smart et Creative Cities »,mise en oeuvre depuis les années 2000, voir notre « Pour en savoir plus ». Du coup, les 27 pays émergents, dont l’investissement culturel et touristique émerge, ne sont pas obligés de passer par la case « développement classique ». En fait ils sont déjà partis, depuis dix ans, dans cette direction, « réinventer l’espace public ». En témoignent leurs réalisations et l’appel aux meilleures compétences, US ou anglaises, comme le font la Chine, Corée, les Pays du Golfe…).
- En conclusion, donc, nous pensons que les acteurs de la Ville, avec ce beau sujet de « réinvention de l’espace public », pourraient se rencontrer : élus et professionnels de sa gestion, mais aussi architectes, urbanistes, économistes… : toutes ces thémes participent à la qualité des espaces publics. Habitants et touristes peuvent donc s’y rencontrer et le Tourisme ou la Culture y participer! Des artistes, Bansky, JR ou El Seed nous montrent le chemin.
POUR EN SAVOIR PLUS
Interview de l’artiste El Seed à l’IMA, Institut du Monde Arabe :
POUR EN SAVOIR PLUS :
– Sur le Caire et ses 17,5 millions d’habitants, officiellement (mais plutôt 25 millions d’habitants, en réalité), capitale de l’Egypte et site le plus fréquenté du pays grâce à ses activités, ses structures d’accueil, son patrimoine urbain et, bien évidemment, de la proximité des grandes pyramides de Gizeh, ICI . Rappelons que la Ville s’appelait Menphis au temps des Pharaons puis Babylone jusqu’u VIIéme siècle.
– Sur l’artiste, (en photo ci-contre) : des vidéos sur son site perso : et sur You Tube où une liste classée des oeuvres par sites et années est bien pratique. : ) Harvard University , Londres (Shubbak, )
– Sa galerie, Itinerrance
– Son livre, « Lost Walls », avec les calligraffiti de son voyage en Tunisie : Lost Walls, a calligraphic journey through Tunisia . En anglais – Paru le 1 avril 2014 – 109 €.
– Ses sculptures, rares et intéressantes : ICI
dont on soulignera l’importance pour l’organisation des grandes rencontres du street art : Mehdi Ben Cheikh
http://www.ufunk.net/artistes/el-seed/, son directeur, a organisé – – Djerbahood en Tunisie, avec plus de 150 street artistes venus du monde entier pour investir le petit village d’Erriadh sur l’île de Djerba, puis s’approprier les lieux, et inventer la une rencontre et le dialogue entre ce petit village, ses habitants et les oeuvres des artistes. De très belles vidéos de cet événement vous attendent sur You Tube!
– Photos du billet : sur sa page Facebook @eL Seed, et sa propre photo sur Vimeo
- SUR LES CREATIVE CITIES
- Lire ou Relire les grands classiques :
- Hall, Sir P. (1998). Cities in Civilisation: culture, innovation and urban order. London: Weidenfeld.
- Landry, C. (2000). The Creative City: A toolkit for urban innovators, London: Earthscan.et, assez pionnier, LANDRY C., BIANCHINI F., The Creative City, Londres, Demos, 1995
- Howkins, J. (2001). The Creative Economy: How people make money from ideas. London: Penguin.
- Florida, R. (2002). The rise of the creative class—and how it is transforming work, leisure, community and everyday life. New York: Basic Books.
- Carta, M. (2007). Creative City. Dynamics, Innovations, Actions. Barcelona: List.
- Jean Blaise, Jean Viard : Remettre le Poireau à l’endroit, Pour une autre politique culturelle, paru en mai 2015, environ 9 euros.
- Et en France, deux acteurs précieux, experts des Creative Cities! Elsa Vivant et Charles Ambrosino
– Elsa Vivant : Qu’est-ce que la Ville créative?
– Charles Ambrosino, avec entre autres un livre et deux articles : :La ville des créateurs – Editeur : Parenthèses, 2012, Collection : La ville en train de se faire- 22 euros. ET Ces esthétiques qui fabriques la ville, ICI! ET enfin, paru en 2014 : 2014, « Comment Banksy réinventa-t-il Bristol ? Activisme culturel, pratiques créatives et transformation urbaine », in EspaceTemps.net, Travaux, le 19 mai 2014 (en ligne et gratuit). -
Portrait de l’artiste en créateur de ville– En ligne et gratuit : L’exemple du quartier artistique de South Shoreditch à Londres, dans « Territoires en mouvements », Revue de Géographie et d’aménagement. Ouvrage collectif Artistes et territoires créatifs en Europe (volume 1)Dynamique communautaire ou dynamique économique ? – 2013. et le Volume 2, en 2013, avec plein de très bons exemples, des statistiques et étudesde cas
Les récents du blog en relation avec ce billet sur El Seed :
– JR, un artiste Culturel?
– Pour une autre politique culturelle, Jean Viard et Jean Blaise
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KEN LE TOURISTE PARFAIT, le Roi du Voyage d’Affaires, l’Empereur des abonnements d’avion, que dis-je, le Prince des Palaces internationaux , s’adonnait à son passe-temps favori : calculer les retombées économiques laissées dans ses 17 voyages, cette semaine, au cours de ses nombreux déplacements. Le coup de fil de son ex, Barbie Chérie, annonça – chic! – un nouveau voyage : « Ken, ce week-end j’ai réservé pour « La Nuit Debout », à Paris! C’est blindé mais Il parait que c’est formidable! Plein d’artistes, de gens, que l’on rencontrera , en vrai!« ….
Notre photo : Ken pose devant la Sucrière, à Lyon (Xéme Biennale de 2009), devant une oeuvre, « Droite/Gauche » de Rigo23, artiste né en 1966 à Madère, Portugal qui vit et travaille à San Francisco.Ses oeuvres les plus célèbres sont des immenses peintures murales à San Francisco, où il s’est établi il y a vingt ans. Pour autant, l’artiste utilise avec talent n’importe quel medium et support dès lors qu’ils correspondent à son « message » : peintures, sculptures, installations, broderies, fanzines ou encre sur papier se nourrissent de l’engagement de Rigo 23 envers les urgences de la vie quotidienne et de l’histoire.
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J’avais été ravi de découvrir cet artiste : http://naaba.fr/fr/el-seed-artiste-street-art-made-in-tunisia/
[…] Ex-aequo avec le travail de l’artiste El Seed au Caire : VOIR notre billet sur le blog. V- KEN D’OR DES POLITIQUES CULTURELLES a été attribué à Jean-Michel Tobelem, Professeur à […]