Nous avons reçu de l’un des plus brillants experts de l’ingéniérie culturelle , Jean-Michel Puydebat, Directeur de PV2D, un complément d’information sur les résultats de l’étude que nous avons publiés dans le billet de la semaine dernière. Voici ce commentaire, avec une présentation.
I – POUR QUE VOUS N’ AYEZ PAS LE MORAL A ZERO!
A dire vrai, une joute « contre » le CREDOC ne nous intéresse pas du tout, ni Jean-Michel ni moi-même, et si nous avons tous deux cette obsession de chercher la vérité, c’est surtout parce que de nombreux petits musées, monuments sautent sur les statistiques officielles, et se comparent avec les « moyennes » que ces statistiques proposent. Et la dernière étude du CREDOC, celle dont nous allons reparler ici, pouvait leur mettre le moral à zéro, ce qui ne doit jamais arriver! Non, six personnes sur 10 ne rentreront pas dans votre musée ou votre monument. Oui, vous êtes dans la moyenne si votre fréquentation baisse un peu en ce moment, car la visite coûte cher, non seulement si l’entrée est payante, mais parce que « sortir de chez soi » est toujours plus cher que d’y rester. Il y a la garde des enfants, ou le fait de « se faire un peu joli pour la visite », ou encore le petit café avant ou après la visite, les tickets de transport, etc…Alors, en temps de crise économique forte, comme en ce moment, on y renonce souvent.
II- LE RESUME DES CHIFFRES DE FREQUENTATION
Voici donc réaffirmées, grâce au commentaire de Jean-Michel, les bonnes statistiques, auxquelles Olivier Donnat, le meilleur d’entre-nous, nous avait habitués, et qui n’ont pas changé, ne vous inquiétez pas! Je les résume pour ceux qui sont assez aimables de nous lire mais sont pressés:
– 30% à 35% des français fréquentent, visitent avec plaisir les musées et les monuments;
– Les plus riches, les plus érudits, les plus âgés de notre population française viennent nombreux ; votre offre leur plait bien, et il n’est pas trop difficile de les fidéliser!
– Les touristes et les excursionnistes sont, en nombre, majoritaires dans les sites culturels, sauf pour deux catégories de sites, dirons-nous pour simplifier : les tout petits sites culturels ou ceux qui n’ont presque personne à l’année…(Mauvaise situation, loin des flux de visiteurs; collections ou monuments sans grand relief; jours et horaires d’ouverture insuffisants; aucune aide à la visite..). Très peu de sites prennent en compte les exigeances de ces touristes et excursionnistes, leur préférant les publics de proximité. Seuls les « très gros » sites culturels s’occupent systématiquement des touristes et des excursionnistes, comme le Mont-Saint-Michel ou le Louvre. Auxquels il faut ajouter environ 500 sites culturels en France – sur les 30 000 à visiter, ce qui est peu- faute surtout de volonté politique. Et c’est vraiment dommage!
– Par contre, si votre site est « en ordre de marche » et si vous voulez que d’autres visiteurs, plus jeunes, moins favorisés, moins érudits viennent voir vos sites culturels ( musées, monuments, sites archéologiques, etc…), vous avez intérêt à renouveler l’offre. Pour cela, il faut changer un peu de point de vue, et quitter les codes « classiques » : textes d’aide à la visite trop jargonneux, étiquettes (cartels) en langage professionnel ( Sbg veut dire signé en bas à gauche…; ou ce INV N° xxxxx, comme vu récemment, qui se réfère au numéro d’inventaire de l’oeuvre, dont le public n’a que faire, mais si vous lui proposez à la place une info utile à la compréhension, il est preneur!). Il faut répondre sur le fond- « Pourquoi suis-je là?« , se demande d’abord le visiteur, « Qu’est-ce qui est réellement important? » Et sur la forme ( Eviter que l’on se perde; créer des circuits pour les visiteurs pressés; traduire en langues étrangères – autrement autant mettre « Ce lieu est déconseillé aux visiteur étrangers ». Pensez aussi que on a le droit d’avoir soif ou faim, de vouloir s’asseoir…). Avec les usages du numérique, vous devez aussi repenser la préparation de la visite (Information multicanal, géolocalisation…), la visite (Apps, rélité augmentée, interactivité…) et la fidélisation. Dialoguer avec les visiteurs, les laisser donner un avis, proposer des solutions ou enrichir les contenus, voilà selon nous la bonne attitude. Dialoguer avec ceux qui ne viendront pas forcément mais utiliseront vos données (Sites Internet, applications,réseaux sociaux, jeux, galeries de photos, forum…).Votre rôle de « proposer » une muséographie, des aménagements divers pour un monument , de créateurs expositions… peut aussi devenir plus largement celui d’un modérateur du débat, si du moins vous le supportez..Et comme vous ne pouvez pas faire tout cela seuls, collaborez et insérez-vous dans la vraie vie, si possible, de votre territoire.(Assos et autres monuments, mais aussi transports, entreprises, différentes stratégies territoriales publiques.).
III- ALLER PLUS LOIN AVEC JEAN-MICHEL PUYDEBAS!
Le commentaire de Jean-Michel Puydebas, suite au le billet de la semaine dernière
« Merci Evelyne de nous avoir permis de décoder la récente enquête du Crédoc. J’abonde dans votre sens notamment quant aux pourcentages très élevés de pratique du patrimoine qui serait de 57 % dans les 12 derniers mois, ce qui romprait tout à fait avec les pratiques habituelles de ce type d’équipement qui se situent entre 30 et 35 % depuis de nombreuses années (comme l’ont montré toutes les études sur les pratiques culturelles des Français réalisées depuis plus 20 ans par la DEP et Olivier Donnat) . Que s’est-il passé ? et bien tout simplement on a considéré que rentrer ou se balader dans des églises gratuites ou au milieu de villes d’art et d’histoire ou de quartiers monumentaux, cela consistait à visiter du patrimoine : ainsi alors que la pratique de visite des châteaux est effectivement à 32 % dans cette étude, celle d’un monument religieux est de 37 %, celle d’une ville d’art et d’histoire de 32 % aussi. Alors 32 + 37 + 32 + toutes les autres pratiques que vous citez (site militaire 10 % , site archéologique 10 %…) peut effectivement faire 57 %.
Déjà il y a quelques années, le questionnaire du DEPS [ Département des études et de la Prospective, et des Statistiques, ndlr]avait été modifié en y introduisant une question sur la « vision des monuments, ne serait-ce que de l’extérieur » et comme de juste, cela avait fait doubler la pratique. De fait il y a peut être 60 % de pratique du patrimoine, mais seulement la moitié environ est payante et le reste est gratuite …ce qui ne génère pas du tout les mêmes retombées économiques et touristiques. Et si l’on regarde les pratiques des musées au global que donne aussi cette enquête Crédoc, on a une justification de ce que j’avance puisque les musées (qui ne peuvent se visiter de l’extérieur il faut effectivement y rentrer qu’ils soient payants ou gratuits) sont à 35% de pratique.
Au total, donc pas de bouleversement, les faits sont têtus (confère Bourdieu) et la pratique des musées et du patrimoine est toujours en moyenne d’un gros tiers des français à peine.
Le deuxième enseignement de cette étude, mais nous le savions là aussi par les études d’Olivier Donnat, c’est que les visiteurs étaient décomplexés par une pratique des musées et des monuments en dehors de leur territoire, donc en position de touriste. Effectivement 57 % des gens qui ont fréquenté du patrimoine et des musées l’ont fait hors de la région où ils habitaient. Ce qui ne signifie pas Evelyne que les touristes sont majoritaires lorsque l’on se place du côté de la fréquentation des équipements. Si les chiffres manquent parce que la direction générale des patrimoines ne fait pas beaucoup d’enquêtes sur la typologie touristes/ excursionnistes/ locaux dans les musées, les consultants travaillant sur le terrain savent que pour beaucoup d’équipements de Province qui ne sont pas des « must », ce sont les publics excursionnistes qui sont largement majoritaires. Il y a quelques années un chiffre encore cité parlait en moyenne DMF de 40 % de touristes contre 60 % d’excursionnistes. Il ne faudrait pas que l’arbre Louvre ou Mont Saint Michel où les parts de touristes sont stratosphériques (79 % au Louvre soit 66 % d’étrangers et 13 % de provinciaux nécessairement touristes ou 50 % de touristes étrangers au Mont Saint-Michel) cache la forêt de la plupart des petits et moyens musées et monuments de France et de Navarre.
Enfin, cette étude Crédoc, reparle du prix mais là aussi, le questionnaire est biaisé pour faire que le prix apparaisse comme un critère fondamental de non pratique dans les musées et monuments. 25 % des personnes interrogées auraient renoncé à une visite du fait du prix. Le malheur pour le Crédoc c’est qu’en 2006 ils avaient effectué une enquête plus ouverte qui elle posait une question plus large avec de multiples réponses, dont le prix, sous la forme « pour quelle raison principale, parmi celles-ci, n’êtes vous pas allé récemment dans un musée » : eh bien, figurez vous que le prix n’arrivait qu’en troisième position avec 9 % derrière « les musées ne nous intéressent pas » avec 43 % et « il n’y a pas de musée près de chez nous » avec 16 %.
Alors Evelyne continuez votre croisade sur la médiation, la vulgarisation, les visites plus vivantes, l’introduction de high tech, car c’est le seul moyen d’espérer croire qu’un jour la pratique viendra chez les oubliés de la culture et fera mentir Bourdieu.
JEAN-MICHEL PUYDEBAT, Directeur de PV2D, conseil en stratégie marketing et exploitation pour les équipements touristico-culturels
KEN LE TOURISTE PARFAIT Ken avait le temps, il le savait. En arrivant à Londres, pour les J.O, qui étaient devenus un paradis de Touristes Parfaits, par parenthèse, tellement l’argent y était roi, le marketing en pleine forme et les sportifs la dernière roue du carrosse, il avait une mission. Mais oui, de temps autre il quittait son modèle économique, pour un peu d’éthique, abandonnait son périple de voyageur incessant, ses palaces et ses Affaires.Sa mission consistait à convaincre une nageuse qu’elle ne nageait pas « pour se faire plaisir », comme elle le disait à tous les médias, mais pour son pays. Et pourquoi Ken avait-il été choisi pour la convaincre? Enfin, réfléchissez de temps en temps, parce que Ken adorait les filles, qui le lui rendaient bien, d’ailleurs. Son portable sonna : c’était son ex, Barbie Chérie….
LA SEMAINE PROCHAINE : ENFIN LES NOUVELLES, toutes les nouvelles de l’été, sympathiques, croustillantes ou fabuleuses du Tourisme Culturel!
LEGENDES DES PHOTOS – En haut : Ken, en Angleterre, fait des châteaux de cartes, cet été, avec le fils d’un l’ébéniste. Exposition Chardin, Waddesdon Manor, Buckinghamshire.
En bas : Tout ranger, cet été! décida Ken, dans ce meuble mural de Charles Kalpakian (Galerie BSL, Paris, Design Week de septembre 2011).
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1 Commentaire
BravO pour cette analyse qui reprend de facon juste et intelligente les conclusions de la dernière étude du credoc faussée en effet par les questions posées et par l’addition de résultats ! En effet visiter ou se promener dans une Ville ou pays d’art et d’histoire ne relève pas de la même démarche que celle de prendre un billet dans un musée.
Si on reprend les chiffres le pourcentage concernant les musées n’ à pas change depuis les « pratiques culturelles »! Je regrette vivement que cette deuxième étude réalisée 5 ans après celle de 2006 ai pris cette tournure à la suite de mon départ et ide mon remplacement par Jacqueline Eidelman qui fait preuve la d.’une partialité peu digne d’un chercheur!
J’en suis désolée!
J’en profite pour te souhaiter ,Evelyne iTune très bonne année!